André masson, 1925-26, Encre de chine sur papier.
Cette oeuvre est intitulée Le Dessin: ce titre souligne l'essence même de ces recherches. Ici le dessin automatique mis en oeuvre par Masson libère la main des injonctions du cerveau et permet à l'artiste de se retrouver lui-même, dans ce qu'il a de plus inconscient.
Installé dans un atelier
sordide du xve arrondissement à Paris, rue Blomet, il avait pour voisin Miró et
réunissait autour de lui un groupe d’amis peintres et poètes, dont Michel
Leiris, qui lui dédia précisément à cette époque son poème intitulé Désert
de mains. Le peintre sortait à peine d’une expérience tragique de la
guerre, sur les fronts de la Somme et du Chemin des Dames, en 1916-1917 ; il y
avait été grièvement blessé et, qui plus est, conduit aux frontières de la
folie ; désormais, sans compter les moments de dépression, un sentiment
permanent et contradictoire de hantise et de fascination à l’égard de la
violence le possédait. « Il avait connu des choses terribles dont il ne
parlait qu’avec une extrême discrétion », se souviendra Georges Limbour, un
de ses proches de la rue Blomet ; l’artiste lui-même avait reconnu que son « moi
avait été saccagé. Pour toujours ». On serait donc en droit d’interpréter
toute son œuvre à travers le prisme de ce traumatisme.
Ces dessins automatiques, dont la pratique a précédé de peu la rencontre de Masson avec André Breton, célèbre peintre surréaliste, en février 1924, émerveillent les surréalistes car on y décèle les puissances d'invention à l'oeuvre dans "l'automatisme psychique pur", comme dans la poésie contemporaine de Robert Desnos. On peut également voir dans ces profondeurs de la mémoire inconsciente, des souvenirs de massacres et de tranchées où les fragments de corps parsemaient la boue projetée par les explosions d'obus, mais aussi le plaisir du dessin et de la ligne qui s'emballe et qui devient incontrôlable.