Le thème de la guerre est récurent dans l'histoire des arts, voici quelques exemples d'oeuvres qui témoignent de cela et souvent dénoncent, critiquent ces conflits générés par les hommes contre les hommes. L'actualité brulante de la Syrie nous rappelle d'ailleurs tristement que le XXIième siècle, à peine amorcé, n'est pas épargné par les guerres.
Vase grec, Antiquité
Les Massacres de Scio, Eugène Delacroix,
1824, Huile sur toile, 419 × 354 cm Musée du Louvre, Paris.
La guerre d’indépendance des
Grecs contre l’occupant Turc débuta en 1820 et suscita l’enthousiasme des
européens progressistes ; nombreux furent ceux qui s’engagèrent aux côtés des
Grecs, tel le poète romantique anglais Byron, fort admiré par Delacroix, et qui
mourut en 1824 à Missolonghi. Dès le 15 septembre 1821, Delacroix se « propose
de faire pour le Salon prochain un tableau dont je prendrai le sujet dans les
guerres récentes des Turcs et des Grecs. Je crois que dans les circonstances, si
d’ailleurs il y a quelque mérite dans l’exécution, ce sera un moyen de me faire
distinguer » (Correspondance, I, p. 132). Toutefois, c’est seulement en mai
1823 qu’il note dans son Journal (I, p. 32) : « Samedi je me suis décidé à
faire pour le Salon des Scènes du Massacre de Scio ». En avril 1822 s’étaient
déroulés en effet les dramatiques massacres des habitants de l’île de Scio. On
dénombra environ vingt mille morts et le reste de la population fut emmené en
esclavage.
Delacroix s’attache à la
mise en place de son œuvre, soulignée par une harmonie soutenue de rouges et de
bleus. Deux grandes masses se répondent : le groupe des Grecs hagards et
meurtris à gauche, le fougueux cavalier Turc à droite, seul rappel immédiat de
l’action militaire – des combats se déroulent encore au second plan, dans le
vaste paysage coloré. Delacroix dispose au premier plan des personnages
prostrés et insiste sur leur résignation. Ces hommes et ces femmes, seuls ou
par groupes de deux, sont isolés dans leur souffrance ou dans l’attente. Nul
détail ne laisse entrevoir la possibilité d’une action commune ou d’une
intervention salvatrice. La nature aride et la ligne d’horizon élevée
accentuent encore le sentiment de fatalité qui pèse sur les vaincus.
Delacroix se démarque de la
peinture d’histoire telle que David ou Gros la concevaient encore : la scène
s’articule autour de deux groupes qui s’opposent, l’un à gauche, ramassé sur
lui-même, l’autre à droite, subissant la violence du rapt. Il ne montre ni le
moment de la bataille ni celui de la victoire, mais les conséquences d’une
politique de domination : toute une population réduite en esclavage. Ce parti
audacieux met l’accent sur le pathétique, sur la volonté d’exprimer la
souffrance humaine, en somme sur une interprétation subjective des témoignages
et récits sur cette guerre.
« Ces horribles scènes, rapporte Théophile Gautier,
cette couleur violente, cette furie de brosse, soulevaient l’indignation des
classiques dont la perruque frémissait […] et enthousiasmaient les jeunes
peintres » : la toile, au Salon de 1824, conforta la querelle du romantisme.
Elle peut aussi être interprétée comme un geste politique dans cette France où
des comités philhellènes se constituent pour demander aux gouvernements
d’intervenir et de mettre fin à l’oppression. Ce sera chose faite en 1827, et
l’indépendance grecque sera enfin reconnue en 1830.(Source: Musée du Louvre)
L'apothéose de la
guerre, Vassili Verechtchaguine, huile sur toile,
1871.
Si le thème de nombreuses œuvres de
Verechtchaguine est la guerre, il s'agissait pour lui de condamner cette
«grande injustice». Son tableau le plus célèbre dans ce domaine est
L'Apothéose de la guerre, représentant dans un paysage désertique un
amas de crânes avec des corbeaux les survolant.
L'Apothéose de la Guerre est le symbole du
pacifisme russe. Il s'agit d'une toile extrêmement réaliste dévoilant une terre
ravagée et désolée, sur laquelle jonche une amas de crânes et d’ossements
humains qui s'empilent en une pyramide où pullulent des corbeaux charognards.
On est loin des esthétiques proposées dans les Académies. Verechtchaguine fut
souvent définit comme un "Apôtre de la Paix"; c'est peut-être sous
ses quatre mots, que nous devrions voir ce tableau. Il définit avec brio les
conséquences de la guerre dont les hommes sont les victimes, et que ici le
peintre dénonce dans cette atmosphère macabre.
Ce tableau apparu lorsque l'opinion
publique russe fut scandalisée de voir ses soldats sacrifiés pour rien, alors
que la dynamique diplomatique des Empires renversait lors du congrès de Berlin
les acquis du conflit. C'est pour cela d'ailleurs qu'il rencontra lors de sa
première exposition à Saint-Pétersbourg un immense succès. Cette oeuvre est
caractéristique des artistes russes du XIXème qui se détournent des modèles
occidentaux encore enseignés dans les Académies, cherchant ainsi des voies
nouvelles en réinterprétant l'héritage de la Russie ancienne.
Guernica, Pablo Picasso,1937, Huile sur toile, 349,3 ×
776,6 cm, Musée Reina Sofia, Madrid.
La
guerre civile éclate en Espagne en 1936 entre les républicains et les
nationalistes dirigés par Franco (combat entre démocratie et dictature). Le 26
avril 1937, les bombardiers nazis (allemands), appelés par Franco détruisent la
petite ville de Guernica. l’oeuvre de Picasso « Guernica » est la
représentation d’une scène de ce massacre.
Guernica (ou
Gernika-Lumo, nom officiel basque, ou Guernica y Luno en espagnol), est une
municipalité et une ville de la province de Biscaye, située dans la Communauté
autonome du Pays basque, en Espagne.
Capitale historique et
spirituelle du Pays basque, elle est particulièrement célèbre pour sa
destruction, le 26 avril 1937, par les aviateurs de la légion Condor, envoyée
par Hitler afin de soutenir le général Franco.
Le bombardement :
Le 26 avril 1937, jour
de marché, quatre escadrilles de la légion Condor, protégées par des avions de
chasse italiens, procèdent au bombardement de la ville de Guernica afin de
tester leurs nouvelles armes. L'attaque commence à 16h30, aux bombes explosives
puis à la mitrailleuse et enfin aux bombes incendiaires. Après avoir lâché
quelques 50 tonnes de bombes incendiaires, les derniers avions quittent le ciel
de Guernica vers 19h45. Après le massacre, 20% de la ville était en flammes, et
l'aide des pompiers s'avérant inefficace, le feu se propagea à 70% des
habitations.
Ce bombardement a été
longtemps considéré comme le tout premier raid de l'histoire de l'aviation
militaire moderne sur une population civile sans défense. Selon le journaliste
britannique C. L. Steer, correspondant à l'époque du Times, 800 à 3 000 des 7
000 habitants de Guernica périrent. Le chiffre donné par le gouvernement basque
fait état de 1654 morts et de plus de 800 blessés.
Les réactions :
Ce
bombardement a marqué les esprits non seulement à cause de l'ampleur du
massacre mais aussi et surtout à cause de la valeur terroriste qui lui a été
attribuée, du fait de l'apparente faible valeur stratégique militaire que
représentait la ville et de l'énorme disproportion entre les capacités de
riposte des défenseurs et la violence de l'attaque. S'il a longtemps été
considéré comme le premier raid de l'histoire de l'aviation militaire moderne
sur une population civile sans défense, alors que la Légion Condor avait en
fait déjà commencé en février 1937 à bombarder des civils, c'est aussi parce
que la valeur symbolique de la ville renforça le sentiment qu'il s'agissait
d'un acte terroriste exemplaire de la répression des anti-franquistes.
«
La peinture n'est pas faite pour décorer les appartements. C'est un instrument
de guerre offensive et défensive contre l'ennemi » Picasso
Franck Capa (1913 - 1954), photographie du débarquement en Normandie.
Ocre
grise,
Antoni Tapiès,1958
Kim Phuc, brûlée au napalm, Nick Ut, photo noir et blanc, 1972.
Phan Thị Kim Phúc est née en 1963 dans le village de Trảng Bàng. Lors
de l'attaque de son village le 8 juin 1972, elle est brûlée vive par le
napalm des bombes américaines. Elle a été transportée à l'hôpital de Saïgon par Huỳnh Công Út, plus
connu sous le nom de Nick Ut, le
photographe de l'agence Associated Press à
l'origine de la photographie (World Press Photo
1972). Il a été diagnostiqué que ses brûlures étaient si sévères qu'elle
n'aurait pas dû survivre sans une prise en charge immédiate. Néanmoins après 14
mois d'hospitalisation et 17 interventions chirurgicales, Kim Phuc a pu être
sauvée. Nick Ut, qui a obtenu la même année le prix Pulitzer pour cette photographie, est
resté en contact avec elle par la suite.
Kim Phuc apparaît sur
une célèbre photo, prise le 8 juin 1972, la montrant à l'âge
d'environ neuf ans courant, de face, nue sur une route après avoir été
grièvement brûlée, suite à une attaque au napalm sur le village de Trang Bang.
La parution de la
photographie a été retardée jusqu'au 12 juin 1972 au motif qu'elle mettait en
scène la nudité
frontale d'enfants, nudité absolument taboue pour la presse américaine. Après
un débat au sein de l'agence de presse et une série de décisions individuelles,
il a été finalement décidé de la publier en raison de son intérêt journalistique
exceptionnel, mais en évitant de faire un gros plan sur l'enfant brûlée.
La véracité de ces
événements et l'authenticité de la photographie, souvent présentée comme celle
d'une petite fille hurlant simplement de terreur (alors qu'elle hurlait de douleur,
après avoir été brûlée vive), avaient été mises en doute dès le 12 juin 1972,
en particulier par le président américain Richard Nixon, ce qui a entraîné de
nombreuses réactions, y compris de la victime, et celle du photographe Nick Ut
qui a déclaré que « la photographie était aussi authentique que la guerre
du Viêt Nam elle-même ».
Considérée comme un
témoignage vivant des horreurs de la guerre et symbole du pacifisme, Kim Phúc a été nommée Ambassadrice de
Bonne Volonté (Goodwill
Ambassador) de l'UNESCO le 10
novembre 1994.
Johnny s’en va-t-en
guerre, Dalton Trumbo, film,1971,
USA (interdit - 12 ans)
Sorti en 1971, ce film fait écho à la guerre du Vietnam. A l’instar de
Mash (sur la guerre de Corée) et du Soldat Bleu (sur le génocide indien), c’est
un des plus grands films pacifistes et anti-militaristes. Grand Prix au
Festival de Cannes 1971.
L'HISTOIRE:
L'HISTOIRE:
Le dernier jour de la
Première Guerre Mondiale, Joe Bonham est sauvagement mutilé par un obus. Manchot,
cul-de-jatte, muet et aveugle, il a perdu tous ses repères sensoriels et il ne
lui reste plus que son cerveau pour penser, rêver, et se souvenir de sa vie
avant la guerre. Considéré comme un cobaye scientifique par des médecins qui le
soignent avec attention , Joe souffre en silence, laissé à l’état de légume, et
tente de communiquer par tous les moyens pour qu’on lui accorde la mort.
ANALYSE:
Le simple fait
d’évoquer le titre Johnny got his gun suffit à donner une impression de
malaise à tous ceux qui l’ont vu. Ce film traumatisant décrit sans concessions
le désespoir d’un être sans aucune défense. L’horreur psychologique atteint ici
son apogée. Que ferait-on si on n’avait plus l’usage de notre corps et de nos
sens ? Pourrait-on continuer à vivre si la seule chose qui nous reste à faire
est de nous réfugier dans des pensées ? Ceci est tout simplement inimaginable
et pourtant, cette histoire a sûrement été réelle…
Pour dénoncer l’absurdité de la guerre,
Dalton Trumbo n’a pas besoin de s’attarder sur les reconstitutions des
batailles, nous ne verrons que l’image troublante d’un allemand en
décomposition sur les barbelés et l’explosion de l’obus qui va atteindre
Johnny. De plus, afin de s’interdire toute complaisance dans le gore, Trumbo ne
cherchera pas à nous montrer le corps mutilé de Johnny qui est recouvert par
des pansements et un drap blanc. Seuls quelques morceaux de peau restés intacts
(un front et une poitrine) nous seront dévoilés avec une étonnante pudeur.
Quant aux pensées de Johnny, le recours systématique à la voix-off n’apparaît
pas comme une facilité, mais comme une évidence puisque ce personnage est privé
du dialogue avec les autres.
Mais ce qui est encore plus révoltant est la conduite
des médecins qui refusent d’admettre que Johnny n’est pas décérébré. Même quand
celui-ci parvient à communiquer en morse pour supplier l’euthanasie, sa demande
n’est pas prise en compte malgré la bonne volonté d’une jeune infirmière
compréhensive. Parce qu’il n’a pas de corps, les médecins croient qu’il n’aura
pas de sentiment, ni de pensée, et ce jusqu’à sa mort. Cette absurdité est la
cruelle ironie du film. Comme le laisse supposer la citation à la fin du film,
il est bien plus facile de glorifier les millions de soldats morts pour la
patrie en leur rendant un vibrant hommage : comme le dit Dalton Trumbo, les
chiffres nous ont déshumanisés. Les morts deviennent des héros et les blessés
sont tenus à l’abri, seuls et coupés du monde. Peut-on imaginer meilleur
réquisitoire contre la guerre ?
La structure narrative
de Johnny got his gun est audacieuse : les souvenirs et les rêves sont
en couleur et la dure réalité du présent est en noir et blanc, ce qui amplifie
la tristesse de l’état de Johnny. Il se souvient de sa fiancée, de sa timidité
dans la découverte d’un premier amour, de ses relations avec son père (sublime
séquence de la canne à pêche). Toutes ces scènes sont poignantes car traitées
avec beaucoup de tendresse et de pudeur. L’identification du spectateur à
Johnny devient bouleversante. Le contraste saisissant avec l’horreur de sa
situation actuelle ne cède jamais au chantage à l’émotion. Mais les repères
peuvent parfois se brouiller, ce qui donne lieu à des scènes surréalistes. Dans
une scène de cauchemar, Johnny imagine qu’un rat est venu le dévorer et
n’arrive plus à distinguer le rêve de la réalité. Il s’imagine également en
train de dialoguer avec un Christ totalement impuissant malgré sa bonne
volonté.
Dalton Trumbo ne
s’attaque pas seulement à la folie militaire et au cynisme de la science, mais
également à l’hypocrisie de la religion, ce qui le rapproche de son grand ami
Luis Bunuel dont on reconnaît d’ailleurs la griffe grâce à son sens de la
caricature féroce. Les deux hommes avaient d’ailleurs collaboré ensemble sur le
projet en 1964, mais le producteur mexicain était tombé en faillite. Après
avoir essuyé plusieurs refus des grands studios qui ne trouvaient pas le projet
"bankable", Trumbo rencontre à un dîner un producteur indépendant,
Simon Lazarus, qui décide de prendre le risque de le financer. Lorsque le film
sort en 1971, il connaît un formidable retentissement critique et public et
remporte le Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes. Luis Bunuel avouera
d’ailleurs son admiration pour Johnny got his gun en disant avoir
"retrouvé la puissance du roman, tout son côté dévastateur, avec des
moments d’une très grande émotion". Dans le rôle-titre de Johnny,
Timothy Bottoms incarne un Johnny inoubliable, plein de douceur et d’innocence.
Notons aussi la présence de Jason Robards et de Donald Sutherland.
Mais avant cette
reconnaissance tardive, Dalton Trumbo avait connu bien des galères… Son propre
roman Johnny got his gun avait été écrit trente ans plus tôt, en 1938.
Ce pamphlet pacifiste avait pour but de dénoncer les résultats de la guerre de
1914-1918 qui est à ses yeux "la dernière des guerres romantiques".
Mais sa parution a eu lieu juste avant la Seconde Guerre Mondiale, ce qui ne pouvait
pas tomber plus mal. A cette période, face à la menace nazie, le pacifisme
était synonyme de défaitisme. Après la guerre, la carrière de Dalton Trumbo en
tant que scénariste est troublée par l’ère du maccarthysme dont il sera
victime, faisant même partie des "Dix de Hollywood". Il fut donc
contraint de travailler sous pseudonyme pendant treize ans. Dalton Trumbo n’a
que 65 ans lorsqu’il adapte enfin pour l’écran Johnny got his gun qui
restera son unique film, l’époque étant propice à la dénonciation de la boucherie
guerrière, c’étaient les années Vietnam.
Qu’en reste-il
aujourd’hui ? Le caractère universel et intemporel de l’œuvre conserve encore
toute sa force. L’absurdité de la guerre sera toujours à démontrer. La vision
de Johnny got his gun est une expérience douloureuse mais nécessaire,
tout comme Nuit et Brouillard d’Alain Resnais. Mais malgré sa noirceur
radicale, Johnny got his gun ne cherche pas pour autant à donner une
impression désespérée. Il est carrément impossible d’oublier cette scène
bouleversante où l’infirmière trouve enfin le moyen de communiquer avec Johnny
afin de pouvoir lui souhaiter un Joyeux Noël.
Balkans
Baroque,
Marina Abramovich, installation et performance, 1997.
Marina Abramovic réalise en 1997
la performance Balkans Baroque dans
laquelle elle mélange expérience traumatique
et critique politique.
Alors que la guerre en Bosnie fait rage, on la voit assise au milieu de
bassines d’eau en cuivre, et d’os de bœuf amoncelés en un énorme tas. Une
projection vidéo la montre avec ses parents. En quatre jours elle nettoie les
mille cinq cents os qui l’entourent tout en chantant des comptines de son
enfance. L’artiste est littéralement noyée dans des fragments de chair et de
cadavres.
La submersion de son corps, tant par la quantité de viande en terme de volume
que par la quantité de travail qu’Abramovic s’impose, accentue le décalage
entre la douceur et l’innocence des comptines et l’horreur que peut susciter le
tas de chair.
Quand les images de la guerre ne sont plus efficaces, la chair
parle d’elle-même. La proximité temporelle avec les événements réels et le
refus d’une mise à distance dont témoigne l’œuvre de Marina Abramovic,
participent à une mise en avant de l'actualité de la région dont elle est originaire.
Apocalypse Now,
Francis
Ford Coppola, film,1979, USA, Palme d’or du festival de Cannes.
L'HISTOIRE:
Lors de la guerre du Viêt Nam, les services secrets militaires américains confient au capitaine Willard la mission de trouver et d’exécuter le colonel Kurtz dont les méthodes sont jugées « malsaines ». Celui-ci, établi au-delà de la frontière avec le Cambodge, a pris la tête d’un groupe d’indigènes et mène des opérations contre l’ennemi avec une sauvagerie terrifiante. Au moyen d’un patrouilleur mis à sa disposition, ainsi que de son équipage, Willard doit remonter le fleuve jusqu’au plus profond de la jungle pour éliminer l’officier. Au cours de ce voyage, il découvre, en étudiant le dossier de Kurtz, un homme très différent de l’idée qu’il s’en faisait. Comment cet officier au parcours exemplaire a-t-il pu devenir le fou sanguinaire qu’on lui décrit ?
L'ANALYSE: Une critique de la guerre du Vietnam: L'action du film se situe en 1969, après l'offensive du Têt de janvier 1968, c'est-à-dire à un moment où les Etats-Unis ne sont plus sûrs de pouvoir remporter militairement cette guerre, à un moment où l'Amérique commence à douter, où l'armée est ravagée par la drogue et des trafics en tout genre. Le film, inspiré du roman de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, 1898, est tourné au lendemain de la guerre du Vietnam, en 1975-1976, peu de temps avant l'arrivée de Jimmy Carter à la Maison Blanche, moment où l'Amérique remet en cause et critique son engagement passé en Asie du Sud-Est, qui s'est soldé par un échec. C'est l'un des premiers films abordant directement la guerre du Vietnam. Or, cette guerre marque une véritable rupture dans les rapports entre Hollywood et l'Etat américain. En effet, jusqu'alors, le cinéma avait toujours soutenu l'engagement militaire du pays, n'hésitant pas à produire des films de propagande pendant les deux guerres mondiales (Casablanca, M. Curtiz, 1942 ou Le port de l'angoisse, H. Hawks, 1944) pour soutenir la politique du gouvernement. Avec le Vietnam, tout change. Certes, il faut attendre la fin du conflit pour voir des films traiter du conflit (Voyage au bout de l'enfer, M Cimino, 1978) et en faire une critique. Pourtant, on peut déjà apercevoir dès les années 1960 des films qui condamnent l'intervention américaine au Vietnam. Robert Altman, par exemple, avec M.A.S.H. en 1969, nous livre davantage une critique du conflit vietnamien que de la guerre de Corée.
Apocalypse Now rentre donc dans cette lignée de films très critiques sur
l'engagement américain. La guerre est vue du côté américain, et la critique
n'en est que plus forte. Coppola ne réalise pas un film de guerre, mais
plutôt un film sur la guerre. Le parcours du capitaine Wilard sur un fleuve
hostile qui le mène au colonel Kurtz ressemble à un voyage intérieur, une
introspection (la voix off de Wilard est récurrente tout au long du film)
et, dans le même temps, Coppola nous emmène dans un voyage vers la folie et
l'horreur de la guerre que semble incarner le colonel Kurtz. Le réalisateur
du Parrain nous montre aussi une certaine réalité du conflit et nous livre
ses interrogations, partagées par nombre de ces concitoyens à l'époque.
Une armée gangrénée par la drogue et les trafics
L'armée américaine est
gangrenée par la drogue, à l'image de Lance Johnson, un des membres de
l'équipage de Willard, et surfer professionnel. Elle est aussi le lieu de
trafics en tout genre, comme le montre la séquence à la base de
ravitaillement : trafics de motos, d'alcool, de drogue qui sont plus
importants pour le sergent que le service normal. L'armée en tout cas ferme
les yeux sur cela.
Une critique de la colonisation:
Pourquoi le Vietnam ? La question est clairement
posée dans la séquence de la plantation française, rajoutée dans Apocalypse
Now Redux. Dernière étape avant l'arrivée au camp de Kurtz, cette
plantation française est comme une apparition, un lieu peuplé de fantômes
surgis d'un passé colonial révolu. L'arrivée et le départ s'effectuent
d'ailleurs dans le brouillard, comme pour mieux souligner le côté étrange,
presque surnaturel de ce lieu et de ses habitants. Qui sont-ils ? Des
colons français installés depuis des décennies qui défendent leur
territoire. Cette vieille demeure coloniale est en total décalage avec la
réalité de la guerre : un certain luxe, avec des serviteurs vietnamiens; on
maintient les traditions françaises comme l'éducation des enfants, la
cuisine, mais dans une atmosphère de chaos, comme le montre la dispute qui
gagne les convives à table. Wilard est d'ailleurs plus un spectateur qu'un
acteur. Ces tenants du colonialisme appartiennent bien au passé, et Coppola
se livre à une sévère critique de la colonisation. Mais le réalisateur
montre aussi l'inutilité de l'engagement américain dans le face à face qui
oppose Hubert Desmarais, le propriétaire de la plantation, au capitaine
Wilard. "Vous les Américains, vous vous battez pour rien du tout"
; c'est bien ce que pense Coppola au moment où il tourne cette scène, et ce
que pensent beaucoup d'Américains à l'époque. Les soldats eux-mêmes dans le
film ne comprennent pas ce qu'ils font là. Thème récurrent dans les films
sur le Vietnam.
Apocalypse Now demeure un film spectaculaire, mais sa dimension épique recèle une
réflexion politique qui sort du simple cadre historique, pour s'attacher au
rapport des hommes avec la guerre, au rapport entre les actes individuels
et leur dimension collective. (Source: Gaëtan
Chaubert, Enseignant en Histoire)
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