LA NAISSANCE DE L'AUTOPORTRAIT:
L’apparition
de l'autoportrait comme motif puis comme genre pictural dans l’art occidental
date de la fin du Moyen Âge, vers le XIV° siècle. On trouve des représentations
d’artistes travaillant au moyen âge, mais l'autoportrait en tant que reflet, double
manifestant la conscience d'une individualité reste très ponctuel. Des moines
se représentent peignant, attestant d’un certain goût pour l’individualisme,
dans les enluminures.
L’autoportrait
s’érige, à la Renaissance, en genre pictural. Rappelons que la Renaissance
célèbre l’homme comme créateur, l’artiste comme génie. Parallèlement à cela,
l’invention et la diffusion du miroir de verre (Venise) et les progrès
techniques de la peinture (invention de la peinture à l’huile) autorisent (plus
que la fresque et la tempera) un travail tout en finesse et précision dans le
rendu des apparences.
Signe
de la maîtrise de son art, l’autoportrait traverse les siècles et connaît son
apogée au XV° et XVI° siècle. Il permet à l’artiste de figurer ses aspirations,
ses doutes, ses projections mentales etc…
LES AUTOPORTRAITS "SITUÉS":
Pour ces types d’autoportraits, on parle
d’autoportrait « situé ». La particularité de l'autoportrait situé
est que l'artiste, souvent perdu dans la foule des protagonistes, n'y est
reconnaissable que par l'intensité de son regard dirigé vers le spectateur
qu'il semble prendre à témoin de ce qui se passe devant lui. Le peintre sert de
médiateur entre le spectateur et l’espace pictural, intensifiant l’effet de
réalisme de la représentation, nous y introduisant mentalement.
BOTTICELLI,
Adoration des mages, 1475:
L’artiste se représente en train de toiser le
spectateur, tourné vers nous et non vers la scène de l’enfant Jésus qui vient
de naître.
PIERRO DELLA FRANCESCA,
Résurrection, vers 1463-1465
Il se représente sous les traits
d’un soldat endormi.
DÜRER, Le martyr des 10000
chrétiens, 1508
Il
se représente en train de marcher avec un ami, traversant le paysage et les
combats.
ARTEMISIA GENTILESCHI, Judith
décapitant Holopherne, 1621
Artemisa Gentilechi, une des premières femmes peintre, violée par son maître de peinture, se représente en Judith décapitant Holopherne.
MICHEL ANGE, Le Jugement dernier
(détail) autoportrait en la dépouille de saint Barthélémy (1535-1541):
Michel Ange se représente en la dépouille de Saint Barthélémy.
LES AUTOPORTRAITS CACHÉS:
Dans ces autoportraits, l’artiste se représente dans un
reflet, sur un verre, une cuirasse ou autre élément de petite taille.
ANDREA SOLARIO, Tête de saint
Jean Baptiste, 1507
Le
visage anamorphosé de l'artiste se reflète à l'envers dans le pied d'une coupe
d'orfèvrerie.
Jan Van Eyck, Les époux arnolfini, vers 1440:
Ici le peintre se représente dans le miroir derrière le couple de jeunes mariés.
L'AUTOPORTRAIT CACHÉ AU XX° SIÈCLE:
Marcel Duchamp en Rrose Sélavy, 1920 (photo de Man Ray)
Traquée
d'année en année au fil de la mémoire, l'image, pour Francis Bacon, se situe au-delà de l'apparence
physique. C'est ce que Bacon appelle « peindre la trace laissée par l'existence
humaine ».
GIUSEPPE PENONE ,
Retourner ses yeux, 1970
«Des lentilles-miroirs posées sur mes yeux indiquent le point qui me
sépare de ce qui m’entoure. Elles sont comme une peau, une frontière, un canal
d’information rompu (…). En bloquant ma vision, je me prive des données
indispensables pour guider mon comportement» Penone.
Dans
le projet Rovesciare i propri occhi (Retourner ses propres yeux) de 1970,
Giuseppe Penone décline son autoportrait
en une séquence de 16 clichés noir et blanc. L’artiste porte des verres de contact opaques couvrant
l’iris et la pupille de l’œil.
La
surface externe miroitante des verres réfléchit le monde extérieur. Se faisant, Penone propose au spectateur la jouissance de son propre regard.
Par
ailleurs, privé de l’exercice de la vue, cette contrainte de l’aveuglement, permet à l’artiste de
faire l’expérience d’un regard tout
intérieur.
LUCAS SAMARAS,
Photo-transformation, 1974
Dans
des autoportraits réalisés au polaroid, Samaras montre son corps distordu ou fractionné, avec pour objectif de représenter différents états intérieurs. Il y a un résultat «immédiat» du polaroid.
WILLIAM WEGMAN, Family
Combinations, 1972
Wegman
s’est photographié puis a photographié ses parents séparément. Il a ensuite combiné les images par surimpression : son père et lui,
sa mère et lui, son père et sa mère. La
comparaison entre les images montre que la combinaison de ses parents ne suffit
pas à engendrer l’artiste, en dépit
du patrimoine génétique. L’œuvre met en évidence les ressemblances, mais aussi les différences
subtiles et parlantes qui font qu’un individu
est toujours autre chose et plus que la somme des parties qui le composent.
ANDY WARHOL, autoportrait en
travesti, 1981
Warhol
n’a jamais cessé de jouer avec son identité. Il a lancé sur le marché un type
de personnage efféminé et décalé, homosexuel ou bisexuel, selon, qui jurait
avec l’idéal masculin de la société patriarcale américaine, rigide et bigote.
DOUGLAS GORDON, Self Portrait Kissing with scopolamine, 1994
Dans
son Autoportrait de 1994, Douglas Gordon pose aussi la question de la véracité de l’image, de son image,
qu’il embrasse dans un miroir avec les lèvres enduites d’un sérum de vérité. La scopolamine de la
famille des solanacées (jusquiame noire, daturas et belladone) est un
tranquillisant légèrement euphorisant qui, dit-on, a été utilisé comme sérum de
vérité pendant la Seconde Guerre mondiale. À fortes doses, elle peut provoquer
d’intenses hallucinations délirantes mais aussi, paradoxalement dans le
contexte de cet autoportrait, de l’amnésie.
L’artiste cherche-t-il à passer « de l’autre côté du miroir » pour y rencontrer
son autre soi-même?
DU CÔTÉ DES ARTISTES CONTEMPORAINS:
Emma Brisson
Ci-dessous: Les autoportraits de Levi Van Veluw:
http://www.levivanveluw.nl
Mitsuko Nagone
Mitsuko Nagone
Mitsuko Nagone
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